Un rêve couleur d’orange de Jacques Lazure
Je commence l’année en vous
présentant mon premier coup de cœur, soit Un rêve couleur d’orange de Jacques Lazure,
un roman d’anticipation. Publié en 1996 chez Québec Amérique, il a reçu le Prix
du livre M. Christie, le Prix Alvine-Bélisle de l'ASTED et le Prix 12/17
Brive-Montréal.
Parce que plusieurs croient que
l’anticipation a vu le jour en littérature pour la jeunesse avec la série «Hunger Game». Parce que ce livre propose une histoire et des thèmes d’actualité.
Parce que Lazure nous fait réfléchir sur la bêtise humaine.
Dans Un rêve couleur d’orange, l’auteur présente les conséquences
néfastes des idéologies religieuses et
guerrières qui se jouent sur deux tableaux : celui de la vie et celui de
la mort. D’un côté, il y a les Fkions, des soldats programmés dès l’enfance à
tuer, qui obéissent sans condition. Les morts n’ont aucune importance pour eux.
De l’autre, il y a les Éclatants, un peuple pacifiste, qui vénèrent leur Dieu
et qui ont un rituel funéraire : ils ensevelissent les morts en les
mettant en contact avec l’écorce et les feuilles des arbres, car cela faciliterait
l’accès à l’autre monde. Les Éclatants passent leur vie à préparer leur mort. Ils
sont les victimes des conflits entre les Fkions et les Rebelles,
troisième peuple nommé mais à peine présenté dans Un rêve couleur d’orange.
Qu’en est-il de l’histoire ?
Le roman s’ouvre sur Oznael, un
Fkion envoyé en mission pour vérifier si
« l’Opération Extermination » dans un village d’Éclatants a été
efficace. En voyant que les habitants vivent toujours, il comprend qu’il doit détruire
le camp et son peuple. En s’approchant du village, Oznael arrive face à un
garçon. Et c’est à ce moment que l’univers du Fkion bascule. Je laisse parler les
mots de Lazure :
« Affolé, Oznael compris
qu’il serait inutile de tenter d’incendier de camp. Il ne pouvait plus attaquer
par surprise. L’offensive était ratée. Que fallait-il faire maintenant ? S’il
lâchait l’enfant, celui-ci sonnerait l’alarme avant même qu’il prenne la fuite.
L’étouffer, oui, et partir.
Malgré la résistance du garçon,
Oznael lui mit la tête sous son bras. Il voulut l’étrangler, mais il sentit la
poitrine de l’enfant battre très fort contre la sienne et cela le terrorisa. Il
n’eut pas la force de serrer pour rompre cette vie qui se débattait sous son
aisselle, cette vie trop près de la sienne. Il n’avait jamais tué quelqu’un à
mains nues. Il avait toujours utilisé une arme, établi une distance précise
entre la victime et lui. Maintenant, la mort prochaine qu’il tenait déjà entre
ses bras l’empêchait d’agir. » (Un
rêve couleur d’orange, p.15)
Survient alors une rupture dans
les agissements du soldat. Il enfreint les règles établies par ses supérieurs :
il fait un prisonnier, lui offre à manger et à boire, lui parle et lui donne
même un cadeau. L’obéissance aveugle quitte peu à peu le soldat, qui devient
compatissant et aimant. Oznael perd son assurance et découvre de nouvelles
émotions.
Le soldat rencontre ensuite
Kéore, la femme enceinte du camp, la seule adulte en santé qui s’occupe, avec
les enfants, des adultes malades. Au contact de Kéore et du peuple amnésique,
Oznael constate les horreurs de la guerre et la souffrance imposée aux
innocents.
Les thèmes chers à la
science-fiction que sont le danger des dictatures, l’absurdité de la guerre, la
religion, la découverte de l’Autre, la communication entre les êtres, la
critique des comportements humains, la remise en question de nos mœurs et de
nos sociétés se retrouvent dans cette œuvre.
Qu’en est-il du genre ?
L’anticipation, une catégorie de la science-fiction, évoque le futur, mais sans s’appuyer sur
la science. Dans l’œuvre de Lazure, l’action se déroule dans un futur hypothétique
où la Terre s’est vue transformée à la suite d’un cataclysme que l’on appelle
le Grand Chaos. Le lecteur se retrouve donc dans une œuvre postapocalyptique,
une autre catégorie de la science-fiction. Selon les peuples de l’univers
de Lazure, les croyances sont différentes et la description des lieux
l’est tout autant: les Fkions pensent être encore sur la Terre, les Éclatants
croient qu’ils l’ont quittée et les Rebelles imaginent que leur planète est un
croisement de la Terre et de la Lune. Un
rêve couleur d’orange est une dystopie, une sous-catégorie de
l’anticipation, car l’auteur présente une société où des idéologies sont
poussées à l’extrême. Les effets et les conséquences néfastes de celles-ci sont
évidents.
Et que dire de l’intertextualité ?
Le rêve
couleur d’orange est aussi un poème de Marie Uguay. Un extrait de ce poème,
tiré de L’outre-vie, est placé en
exergue :
« Les hommes qui luttent
dans les mines
aux souches de leur peuple
que l’on fusille à bout portant
en sautillant de fureur
n’en finissent plus
de rêver couleur d’orange »
Cet intertexte, utilisé à
plusieurs reprises dans le roman, se traduit par l’espoir qui habite les deux
personnages principaux. Cette promesse de liberté les mènera vers une vie loin
des religions, des rituels et des règles à suivre.

Il m'a toujours fait de l'oeil en librairie. Là, grâce à toi, je vais me remuer et aller à la bibliothèque!
RépondreSupprimer